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De Dragon’s Lair à Halcyon

Supérieur en terme de qualité à la cassette VHS et considéré par beaucoup comme l’avenir de la vidéo, le format Laserdisc aura inspiré plus d’un créateur. C’est le cas d’un certain Rick Dyer, un américain œuvrant dans le jeu vidéo depuis maintenant plus de 30 ans (il se définit lui-même comme le « dernier des Mohicans » du secteur). Et si ce nom ne vous est pas inconnu, c’est parce qu’il n’est autre que l’un des créateurs des célèbres Dragon’s Lair et Space Ace (les premiers succès arcade basés sur la technologie du Laserdisc).

Considéré comme l’un des pionniers de l’époque, il a contribué a de nombreuses avancées technologiques dans le secteur vidéoludique, allant même jusqu’à réaliser le premier jeu d’arcade basé sur des hologrammes (Time Traveler). Cet homme aura tellement marqué le jeu vidéo de son empreinte que des exemplaires de Dragon’s Lair et de Time Traveler sont maintenant exposés au célèbre musée Smithsonian.

Pour Rick, le succès de ses productions dans les salles d’arcade et les possibilités offertes par ce nouveau format le poussent alors à réaliser un rêve qui, à l’époque, parait totalement impossible : amener le Laserdisc dans les foyers.

Nous sommes dans les années 80 et le multimédia est un mot qui n’existe pas encore dans la bouche des journalistes. Pourtant, Rick Dyer va se lancer dans le projet de réaliser une console dite « du futur » intégrant les dernières technologies de pointe couplées à un lecteur Laserdisc.

C’est par le biais de sa société RDI Video Systems que sortira, en 1985, ce que l’on peut considérer comme la première console de jeu familiale basée sur le lecteur Laserdisc de Pioneer : l’Halcyon. Ce projet, fruit de nombreuses années de recherche et développement, aura pourtant connu de nombreuses étapes de production et de déboires.

Pour la petite anecdote, le terme Halcyon provient du film 2001 L’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick). Il s’agit d’un hommage au désormais célèbre ordinateur HAL 9000, l’intelligence artificielle du vaisseau spatial.

L’origine d’Halcyon remonte aux années 70 (plus précisément en 1976).  Rick Dyer découvre à cette époque un jeu qui marquera à jamais son histoire personnelle : le fameux Colossale Cave Adventure. Pour lui, c’est une révolution car c’est la première fois que le joueur peut interagir directement avec la machine en utilisant des mots clefs (293 exactement). Bien qu’entièrement textuel, l’ordinateur interprète des mots du langage courant au sein d’un roman « interactif », et c’est la toute la différence avec un jeu d’arcade classique.

Voyant cela comme les prémisses de l’intelligence artificielle, Rick Dyer s’inspirera de son nouveau jeu fétiche pour en réaliser un équivalent qui utilisera, non pas des mots clefs à taper sur un clavier, mais de la reconnaissance vocale.

Halcyon, ou la console la plus imposante de tout les temps

Après de nombreuses tentatives basées sur des supports à bandes magnétiques synchronisées grâce à un microprocesseur, il découvrira alors le très « high tech » Laserdisc qui lui permettra d’allier le son et l’image dans un seul et même système intégré. Seul hic, cette première mouture nommée « The Fantasy Machine », ne rencontrera cependant pas d’écho positif auprès des investisseurs (la faute a une interactivité trop faible pour intéresser le grand public). Rick devra alors repenser son projet pour le rendre plus attractif.

Le projet Halcyon est donc né de plusieurs années de recherche intensives et c’est grâce a cet acharnement que le jeu Dragon’s Lair verra le jour. Notre homme fait appel au talent de Don Bluth pour réaliser quelques séquences en dessin animé de son futur projet intitulé The Secrets of the Lost Woods. Ce nouveau jeu promet une qualité d’image sans pareille (merci le Laserdisc), mais surtout de l’action ! Les premiers résultats sont d’ailleurs tellement encourageants que ces simples segments animés remplaceront complètement le projet original. Plutôt que de proposer un roman interactif ennuyeux avec des illustrations fixes et quelques phases de dessin animé, il est décidé d’en faire un jeu d’arcade a part entière. Le projet Dragon’s Lair est né !

Le succès et la réputation de ce jeu en arcade sont tels que Rick Dyer a maintenant le champ libre (et les finances) pour développer sa propre machine à reconnaissance vocale et revenir à ses premiers amours.

Basée sur un microprocesseur Zilog Z80 (le plus répandu à l’époque et utilisé dans de nombreux ordinateurs), l’Halcyon prend alors la forme d’une énorme station regroupant un lecteur Laserdisc, un clavier, et une unité centrale. Sa taille imposante en fait la console la plus encombrante de l’histoire du jeu vidéo. Bien que ses spécificités techniques puissent faire sourire aujourd’hui, elle proposait ce qui se faisait de mieux en termes de technologie.

Doté de 64ko de mémoire, l’Halcyon intégrait un système propriétaire de reconnaissance vocal ainsi qu’un synthétiseur baptisé Votrax. Ainsi, il était possible (dans une moindre mesure) de « converser » avec la machine. Une centaine de mots étaient préenregistrés, et il était même possible de lui en apprendre de nouveaux.

Rick Dyer prônait à qui voulait l’entendre que l’Halcyon n’était pas qu’un simple système de jeu a commandes vocales, mais bien une intelligence artificielle a part entière. Ainsi, la machine pouvait reconnaitre l’utilisateur grâce à sa voix et lui poser quelques questions de types « comment allez-vous aujourd’hui ? ». L’on murmure même que la console pouvait s’allumer toute seule et interpeller le joueur si celui-ci ne l’avait pas utilisée depuis trop longtemps… 

Dans l’émission « The Computer Chronicles » datant de 1985, Rick Dyer fait une démonstration de son système au présentateur Stewart Cheifet. Ce dernier (équipé d’un micro casque) va commencer alors à dialoguer avec la machin. Voici une retranscription rapide de ce qui s’est alors passé ce jour la :

  • Halcyon : Bienvenue a Halcyon. Voulez-vous jouer ?
  • Stewart : Oui.
  • Halcyon : Afin d’enregistrer votre empreinte vocale, veuillez prononcer votre nom ou appuyez sur une touche.
  • Stewart : Stewart
  • Halcyon : Heureux de vous revoir Stewart Cheifet. Puis-je vous appeler Stewart ? (la console a reconnu que l’animateur avait déjà utilisé le système).
  • Stewart : oui
  • Halcyon : Ok Stewart. Pour jouer, merci d’insérer un disque. (Le jeu Thayer’s Quest se lance et arrive sur le menu principal)
  • Halcyon : merci de faire un choix Stewart.
  • Stewart : choix 2, etc…

Naturellement, la voix robotique de l’Halcyon et la reconnaissance vocale étaient très limités, mais annonçaient déjà les possibilités extraordinaires de cette technologie dans le futur. Pourtant, cette petite révolution mettra bien longtemps avant de vraiment percer dans le domaine du jeu vidéo. Il faudra presque 30 ans pour qu’une entreprise comme Microsoft (avec sa caméra Kinect) ou Apple (avec Siri) se rapprochent de ce concept original.

Bien qu’en avance sur son temps (en 1985, Nintendo viens seulement de sortir Super Mario Bros sur NES), l’Halcyon va connaître un destin tragique. En effet, la technologie a un coût et le Laserdisc est encore un support onéreux à produire. La première série d’Halcyon (et la dernière) mise sur le marché coûte la bagatelle de 2500$ (le salaire moyen d’un américain a cette époque était de 1200$). Inutile de vous dire qu’il fallait économiser un bon moment pour pouvoir se payer la bête.

Il est a noter que les possesseurs de lecteurs Laserdisc n’étaient pas obligés d’acheter l’intégralité de l’Halcyon. En effet, certains modèles grand public étaient compatibles avec l’unité centrale. Ainsi, les modèles Pioneer LD-700, VP-1000 et LD-1100 pouvaient servir de lecteur, réduisant ainsi la facture finale.

Outre ce problème de taille, seuls 2 titres sur les 6 annoncés furent disponibles lors du lancement : Thayer’s Quest (inclus avec la machine) et NFL Football. Curieusement, alors que Dragon’s Lair était très populaire en arcade, aucune conversion de ce jeu n’a été annoncée sur l’Halcyon (probablement parce que le système ne disposait pas de manette mais d’un simple clavier… mais il s’agit ici d’une simple supposition).

Inutile de tergiverser longtemps pour comprendre que l’Halcyon, bien que visionnaire, était voué dès le départ a un échec cuisant dans de telles conditions de distribution. Peu de temps après le lancement, les partenaires financiers désertent le projet et la société RDI Video System met la clef sous la porte. Ainsi se termine la vie éphémère de cette console du futur.

A ce jour, personne ne sait exactement combien d’Halcyon ont été vendus et combien sont encore en circulation dans les collections privées (les estimations vont de la dizaine à la centaine selon les sites qui traitent de cette machine). Les photos se font rares et les possesseurs de la console très discrets.

Les dernières fois que l’Halcyon est apparue sur le site d’enchères Ebay, c’était en 2008 (les enchères ont dépassé les 15.000$) puis en 2018 (vendu pour 30.000$). Depuis, plus personne ne l’a revue ailleurs.

Cassandra Peterson, actrice américaine connue pour son rôle d’Elvira au cinéma et très célèbre à cette époque, serait l’heureuse propriétaire d’un exemplaire.

Après ce revers, Rick Dyer décide de mettre l’intelligence artificielle de côté pour revenir à ce qui a fait son premier succès : l’arcade. Bien que le projet Halcyon soit une lourde déception,  il n’a cependant pas été totalement inutile. Rick décide donc de recycler ce qui peut l’être. Ainsi, le jeu Thayer’s Quest (un jeu d’aventure / dessin animé interactif spécialement réalisé à l‘origine pour l’Halcyon) se verra simplifié puis adapté au marché des salles de jeu.

Thayer’s Quest intègre toujours les fameuses séquences animés sur Laserdisc ainsi que la synthèse vocale utilisée par l’Halcyon. Contrairement aux autres jeux d’arcade, le joystick est remplacé par un clavier spécial qui permet au joueur d’écrire son nom en toutes lettres et d‘accéder à différentes options (inventaire, formules magiques, etc…). Cela permet au jeu de s’adresser directement au joueur en l’appelant par son prénom et d’utiliser une alternative à la reconnaissance vocale du jeu original.

Pour la petite anecdote, il faut savoir que le jeu Thayer’s Quest n’a jamais été terminé dans sa version arcade. En effet, le jeu dispose à l’origine de 5 mondes mais seulement 3 sont accessibles. Seule la version Halcyon contient l’intégralité du jeu. La raison est toute simple : le Laserdisc comprenant 2 faces, il est impossible de le retourner « manuellement » dans la version arcade. Pour les plus téméraires ayants été jusqu’au bout de l’aventure, le jeu promet qu’elle continuera donc sur un 2ème disque… qui ne verra jamais le jour malgré le petit succès d’estime que connaît le titre dans les salles.

Le clavier de la borne d’arcade

Ce qui est encore plus curieux, c’est que c’est la version non terminée qui sera ensuite rééditée sur CD-Rom (PC, 3DO, CDI). Il faudra attendre 1998 (14 ans plus tard) pour que le jeu sorte dans une version remasterisée et agrémentée des 2 royaumes manquants sous le nom de Kingdom 2: Shadoan.

S’il est aujourd’hui difficile de mettre la main sur les 2 jeux Halcyon existants, l’on sait que 4 autres projets étaient cependant bien avancés. Malheureusement, la faillite prématurée de la société RDI Video System sonna le glas de ces productions. A l’exception de Thayer’s Quest et de NFL Football qui connurent les joies des salles d’arcade, les autres jeux furent purement et simplement abandonnés.

NFL Football est le seul jeu Halcyon qui n’est pas une création originale. Il était déjà disponible en arcade en 1983 et édité par Bally/Midway 2 ans avant sa sortie sur la console.

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